Profession: Meneur de jeu à Simulacres
Auteur: Pierre Rosenthal.
Simulacres est un jeu de rôle qui date de 1986. Publié dans sa forme quasi définitive en hors-série Casus Belli en 1989, il a été développé par le biais d'Univers et de règles additionnelles depuis. La façon d'appréhender ce jeu et la manière dont il est perçu par les joueurs ne sont pas toujours très claires car ses usages sont multiples. Mise à plat des intentions et du système par son auteur : Pierre Rosenthal.
Depuis que je pratique le jeu de rôle, d'abord en amateur puis en professionnel,
j'ai été amené à initier de nombreuses personnes à ce
loisir. Les deux arguments majeurs qui rendent les gens « réticents » à s'asseoir
autour d'une table sont la longueur de la partie (« Pas plus qu'une soirée
de tarot ou de Trivial Pursuit! ») et le thème du jeu (« Moi,
une prêtresse qui repousse les zombies, c'est ridicule ! » ).
En ce qui concerne la longueur de la partie, je ne connaissais qu'une seule méthode
efficace : donner des personnages prétirés, expliquer en quelques mots
le principe de simulation, évo quer le cadre du jeu et du monde, et démarrer.
Pour ce genre d'initiation, il faut compter une durée totale de jeu de trois
heures au grand maximum. Chez des amis, on mange d'abord et on termine peu après
minuit, et lors d'une convention, le bruit et les interruptions ralen tissent le
rythme. De plus, il faut utiliser un sys tème suffisamment simple et souple
pour que le joueur comprenne sa feuille de personnage. Pour moi, les deux meilleurs
jeux sur ce point sont AD&D1, en donnant un guerrier prétiré,
et L'appel de Cthulhu. Le premier parce qu'à part lancer un dé à 20
faces et apprendre ce qu'est une classe d'armure il n'y a rien à savoir. Le
second parce que toutes les compétences sont données littéralement,
avec une valeur en pour centage. Bien sûr, il y a d'autres systèmes,
mais il n'est rien de plus ennuyeux que de dire au joueur : « Pour cette partie,
tu ne tiens pas compte du facteur d'essoufflement, ni de la colonne spécialisation. » Et
puis, que faire si le joueur réclame de créer son personnage tout en
comprenant les règles du jeu?
Pour le thème par contre, il n'y avait pas de remède miracle. Si les
joueurs voulaient jouer à l'époque de la Prohibition il fallait utiliser Gangbuster (vieux
jeu de TSR en anglais). Et que dire s'ils désiraient incarner des hommes préhistoriques
! La mode n'était pas encore aux jeux « génériques »,
Gurps n'était qu'un projet pour Steve Jackson, et puis ce jeu très
agréable se trouve être malgré tout un peu long quand il s'agit
d'inventer un nouvel univers. L'idée avec Simulacres était donc
principale ment de permettre de jouer et de créer rapide ment des personnages
pour n'importe quel type d'univers, avec un côté suffisamment simula
tioniste pour que l'on n'ait pas l'impression de jouer aux Petits Chevaux. Pour réaliser
ce cahier des charges, la méthode a été de définir les
per sonnages de façon plutôt symbolique (construits avec leur Corps,
Coeur, Instincts et Esprit r s'ex primant par leur Action, Perception, Désir
et Résistance) que descriptive. En contrepartie de quoi, le système
de base est radicalement dif férent de celui des autres jeux de rôle,
où l'on voit tout de suite ce que signifie une notion comme « Conduire
automobile » ou « Dextéri té manuelle », mais qui
nécessitent de nouvel les règles pour chaque nouvel univers. Je dois
reconnaître que le fait de choisir trois compo santes mentales pour une physique
va à l'en contre de ce qui est couramment pratiqué, mais je voulais également
orienter les joueurs vers une approche plus subtile du jeu de rôle et moins
brutale. Mes nombreuses expériences d'initiation montrent en tout cas que
si les débu tants acceptent assez bien ce système, les joueurs expérimentés,
eux, ne retrouvent plus leurs marques habituelles. En bref, si dans le hors-série
de nombreux conseils et exemples ont été donnés pour expli quer
au joueur néophyte ce qu'est le jeu de rôle, il faut reconnaître
que Simulacres n'est pas un jeu simple pour le meneur de jeu. II est élémentaire
dans le sens où, avec le minimum d'éléments, on peut jouer au
jeu de rôle.
Rien ne vaut un exemple concret. Vous êtes dans un club, une convention, chez
vous, et des personnes curieuses vous demandent d'expli quer ce qu'est le jeu de
rôle. Expliquez du mieux possible, avec vos propres mots, en don nant des exemples.
Evitez les mots ésotériques comme MJ, PJ. .. Comme il n'y a pas d'explica
tion type, vous en viendrez finalement à leur proposer de jouer avec vous.
Si l'un des curieux ne veut pas, insistez un peu mais sans plus, il vaut mieux un
spectateur attentif qu'un joueur bougon.
Ensuite, demandez-leur quel genre d'aventure ils voudraient vivre, ou quel genre
de personnages ils désirent incarner. Le choix se portera sans doute sur des
grands archétypes comme Merlin, Indiana Jones, Robin des Bois, Dark Vador.
Sug gérez-leur les univers de base décrits dans le hors-série
(médiéval-fantastique, horreur, space opera, historique, etc.) mais
laissez-leur le der nier choix. Seule obligation : qu'ils choisissent le même
univers de jeu. Après cela, à vous de créer les personnages
en expliquant les règles du jeu. Pour cela, demandez à chaque joueur
de décrire son personnage. Est-il fort, faible, vaillant, lâche... Quel
métier fait-il ?... A partir de cette base, attribuez des points dans les
caractéris tiques, en respectant plus ou moins les règles de Simulacres
(vous pouvez vous permettre de mettre un point en plus ou en moins dans le total
si le personnage est exceptionnel). Surtout, expliquez aux joueurs toutes les règles
de base, y compris les Énergies (Puissance, Rapidité, Précision)
qui permettent aux per sonnages de se dépasser et de devenir héroïque.
N'hésitez pas à donner des capacités excep tionnelles (Merlin
crée des illusions, Indiana Jones a une chance phénoménale...)
mais com pensez en indiquant qu'ils devront, à chaque utilisation, dépenser
un ou deux points d'Éner gie en échange.
Maintenant arrive la partie la plus difficile, cel le qui demande le plus de talent au meneur de jeu. Pendant qu'il explique les règles aux jou eurs, il va devoir inventer une histoire en rapport avec l'univers et les personnages choisis. La première règle est de faire simple et de ne pas hésiter à puiser dans ses propres expériences (réelles ou ludiques). Si le thème est médiéval - fantastique, n'hésitez pas à ressortir la vieille histoire du méchant sorcier qui a enlevé la prin cesse, et du roi qui offre une récompense à qui la retrouvera, ou utilisez la trame de votre der nière partie d'AD&D. Si vous êtes en pleine Prohibition, un épisode des Incorruptibles vous sauvera la mise, comme le feront La guerre du feu ou Rahan dans un cadre préhistorique. Une fois le fil conducteur de l'histoire trouvé, résumez-le sur une feuille de papier, avec le nom des lieux à visiter et des personnages les plus importants. Cela vous aidera à ne pas dévier de votre trame en cours de route. Quant aux joueurs, mettez leurs personnages directement dans la situation en leur racontant ce qu'ils viennent de faire (« Dans votre petit bureau de Chicago, une nouvelle journée lourde et moite commence, vous venez de vous servir un café sans sucre. On frappe à votre porte, c'est Franck Gordon, le nouvel assistant du District Attorney, qui entre en retirant son feutre mou t ). En cours de partie, quand vous décrivez un lieu non prévu, servez-vous des lieux réels que vous connaissez en les transposant. Quand vous inventez des personnages, calquez-les sur des acteurs connus. N'hésitez surtout pas à mettre de grosses ficelles. Pour une première partie, les joueurs sont souvent ravis d'avoir l'impression de jouer dans un film avec de grosses vedettes. Enfin, sachez résumer et ne pas faire une histoire trop compliquée ou trop longue. Si l'enquête piétine (il y a toujours une enquête quelque part), mettez-leur dans les jambes un informa teur. Enfin, terminez par une belle poursuite, un combat épique ou une fuite in extremis. Si vos joueurs n'ont pas envie de recommencer une partie la semaine suivante, c'est à désespérer de vous ou de leur intérêt pour ce type de jeu!
Les meneurs de jeu ou joueurs débutants à Simulacres ont tendance à penser que tous les jets physiques se résolvent par Corps + Action, et ont donc l'impression de toujours faire le même jet de dé. En général, toutes les actions rapides ou demandant de la précision (croche ter, lancer...) dépendent plutôt d'une bonne vue d'ensemble de la situation que de la puis sance musculaire. On utilisera plutôt dans ces cas-là Corps + Perception.
La deuxième raison pour laquelle
j'ai fait Simu lacres était de permettre à des
joueurs de jeu de rôle réguliers d'essayer, simplement et à moin
dres frais, de nouveaux univers ou de nouvelles façons de jouer. Si certains
l'ont appréhendé de cette manière, avec les règles de
base, nombre d'entre vous ont trouvé les règles de simulation trop
simplistes et pas assez détaillées. L'habitude est en effet d'avoir
des feuilles de per sonnages avec de nombreuses caractéristiques, compétences
ou pouvoirs, et il est vrai que cela fixe bien les idées. Quant aux « approxima
tions» de la simulation, les reproches concer nent le peu de variation entre
les types de dégâts et la trop grande facilité des actions dans
les domaines favoris des personnages. Or Simu lacres, malgré son petit
gabarit, est le résultat de trois années de réflexion. Pour
ajouter de nou velles règles, tout en restant à la fois compatible
et raisonnablement simple, il a fallu du temps. Et c'est uniquement dans Casus Belli
n°62, sous le titre Règles de Campagne, qu'est paru ce complément.
Si vous désirez jouer Simulacres en « cam pagne », c'est-à-dire
créer des personnages rela tivement détaillés dans un univers
que les jou eurs exploreront au cours de nombreuses parties, il faut faire un choix
dans les règles que vous désirez employer.
Tout d'abord, sachez que tous les personnages et toutes les règles sont compatibles,
que vous utilisiez les règles de base ou de campagne. Ainsi votre personnage
peut jouer dans le même univers, avec deux meneurs de jeu et des règles
différentes. Il n'y a qu'une exception à cette règle : les
points de vie. Mais détaillons les règles et voyons ce que chacun
peut y piocher.
Composantes, Moyens, Règnes et Energies sont strictement les mêmes. Les petites cases des Composantes (naissance, acquis et vie) ont dis paru dans les dernières fiches de personnages. Elles ne servent pas en cours de jeu mais per mettent d'individualiser les personnages. Utili sez-les en si vous aimez vous pencher sur le passé de vos alter ego.
Là aussi, le personnage a dans les deux types de règles un métier
(qui lui donne un bonus dans un talent) et d'autres aptitudes. Dans les règles
de base, il suffisait de dire que Louis Legrand était un médecin connaissant
la photo et l'escalade pour le caractériser. A chaque nouvelle action, le
meneur de jeu estimait s'il était raisonnable, au vu de la description de
Legrand, que le personnage soit plus ou moins compétent dans le domaine abordé.
Dans les règles de campagne, chaque Talent (médecine, escalade, astrophysique,
etc.) est décrit et doit être jaugé (par un modificateur qui
va de -4 à +1 en général). Les règles de cam pagne semblent
plus complètes mais ce sont les mêmes. En effet, avec Simulacres, chaque
action doit avoir une difficulté estimée par le meneur de jeu. Cette
difficulté est une équivalence entre les notions Aisé, Normal,
Malaisé, Difficile, Très dif ficile et les valeurs 1, 0, -1, -2, -4.
II n'y a donc pas de différence entre dire que Louis Legrand, méde
cin, trouve très difficile de monter à cheval, ou dire qu'il a le
Talent Équitation à -4. L'avantage des règles de campagne est
de fixer ces valeurs une fois pour toutes et de donner des repères aux meneurs
de jeu qui ne connaissent pas for cément tous les sujets.
En pratique, la nouvelle
feuille de personnage, quoique plus longue et plus complexe, simpli fie la gestion
pour le meneur de jeu et le joueur.
Dans les règles de base, c'est au meneur de jeu d'estimer
les dégâts
provoqués par tout mode d'agression. Des indications sont don nées
mais elles restent très sommaires et surtout, le joueur a l'impression que
c'est le meneur de jeu qui décide de la mort ou de la survie des personnages
en attribuant les points de dégâts à la tête du client;
cela risque de créer des conflits. C'est pourquoi, de toutes les règles
additionnelles, je vous conseille d'utiliser cel le de la Table des dégâts,
afin de transformer Simulacres en un « vrai » jeu de rôle.
Le principe est simple. Chaque arme a un code de dégâts (de [a]à [k]).
Lorsque l'on porte un coup, on ajoute la marge de réussite à un autre
lancer de dé pour connaître le total final des dégâts sur
la Table. Ce résultat dépend donc de l'arme, de la façon dont
le coup a été porté, et un peu du hasard.
Si vous vous trouvez dans le cas d'un scénario écrit pour les règles
de base et jouant avec les règles de campagne, ou réciproquement, vous
pouvez faire une équivalence entre les dégâts dans un système
et l'autre :1 PV ou PS corres pond aux classes [a] à [c], 2 PV ou PS aux classes
[d] à [f], 3 PV ou PS aux classes [g] à [h], 4 PV ou PS aux classes
[i] à [k]. Pour retrouver ces valeurs, lisez les lignes 7-5-9 et 10-11 pour
les valeurs 2d6 + Marge de la Table des dégâts.
C'est la seule différence sensible entre les deux approches des règles.
Dans les règles de base, on suppose que les personnages sont normalement
mortels et qu'un coup de revolver peut les tuer. Mais les joueurs (et ils ont raison)
aiment bien incarner des héros. Quand, de plus, on joue ie même personnage
depuis plusieurs aventures, on préfère qu'il ait des chances de survie.
C'est pourquoi dans les règles de campagne, il est possible d'avoir trois
morphologies: Faible, Moyenne et Forte. La Faible correspond aux points de vie des
règles de base. Presque tous les personnages des règles de campagne
ont une morphologie Moyenne.
Dans un deuxième temps, le meneur de jeu a le choix entre utiliser des points
de vie globaux ou les localiser dans les différentes parties du corps. La
première méthode est plus rapide et plus simple, et permet de gérer
sans problèmes les dégâts de type délocalisé (comme
explosifs ou brûlures). La seconde est plus héroïque dans le sens
où elle permet d'encaisser plus de coups, et qu'il est plus épique
de visualiser une blessure au pied qui fait boiter. Par contre, elle amène
plus de problèmes pour gérer la guérison des blessures, la
gêne qu'elles causent, etc.
Je
conseille d'utiliser la première méthode
dès que I atmosphère
est contemporaine, dans les aventures exotiques, dans les ambiances comi ques. Quant à la
seconde, réservez-la aux cas particuliers comme les mondes cyberpunk (savoir
quelle prothèse a été touchée) ou épiques (sort-on
d'un abordage avec une jambe de bois ou un crochet ?).
Dans le cadre de la rubrique consacrée à Simu la cres, Le
petit capharnaüm, j'ai proposé de nouvelles règles pour répondre à des
situations variées. Hé bien, j'ai eu plutôt tort, comme me l'ont
fait remarquer certains lecteurs (écrivez nous, nous lisons le courrier !). Simulacres doit être
accessible, relativement complet et simple. Et évidemment, dès que
l'on ajoute une nou velle pierre à l'édifice, on a tendance à construi
re des gratte-ciel.
Cela ne veut pas dire qu'il ne faut pas créer et utiliser de nouvelles règles.
Au contraire ! Mais chacune doit correspondre à un aspect fonda mental de
l'univers joué et ne pas être trop com pliquée (une règle
trop compliquée est une règle que l'on a oublié d'une semaine
sur l'autre, même si on l'utilise à chaque partie). Ainsi, pour prendre
des exemples dans les univers publiés la matrice dans Cyber Age, le
vaudou et les abordages dans Capitaine Vaudou sont des règles indispensables
puisque nécessaires à chaque aventure. Le vaudou est sans doute à la
bonne difficulté. Les règles d'abordage sont un peu compliquées
mais elles font intervenir tous les personnages en augmentant le suspens dans un
moment critique, elles sont donc correctes. Par contre la matrice est trop compliquée
: quand un jackeur se connecte il joue tout seul trop long temps pendant que les
autres joueurs attendent. II y a également des lecteurs qui trouvent que ces
règles ne sont pas assez détaillées. Là aussi c'est une
question de choix par rapport à la personnalité du meneur et de ses
joueurs. Ce qui semblera simple à l'un sera effroyablement com olioué cour
l'autre.
Le but final de Simulacres, pour le meneur de jeu, n'est pas de faire jouer ses
petits camarades. C'est de lui permettre de créer son propre univers de jeu. et de
le faire découvrir à ses amis ! Pour cela. votre méthode de
travail doit rester la plus simple possible : décrivez tous les aspects de
cotre univers { quels qu'ils puissent être. In v entez ensuite une ou deux
histoires qui s'y déroulent, et faites jouer une aventure. Lorsque le besoin
d'une règle précise se fait sentir, notez- la dans un coin et résolvez
pour l'instant le liti ge avec votre bon sens.
Une fois revenu à votre table de travail, écrivez une règ le
qui semble logique, sans trop d'excep tions. Puis utilisez-la lors de la prochaine
aven ture. Si vous remarquez que le fait d'utiliser cette règle n'apporte
rien (soit en suspense, en souffle épique ou en précisions utiles),
n'hésitez pas à la supprimer. Quoi que l'on puisse penser, il est toujours
plus difficile de supprimer une règle que d'en créer une nouvelle.
Après plu sieurs parties, rédigez votre jeu.
Ça y est ! Vous êtes devenu un créateur de jeu de rôle.
Cela ne vous rendra ni riche ni célèbre mais vous procurera un grand
plaisir. Si malgré tout vous désirez devenir pauvre et célèbre,
voici comment faire.
Ecrivez lisiblement votre jeu (machine ou trai
tement de texte de préférence). Vous pouvez recopier ou photocopier
librement les règles de base ou de campagne de Simulacres. Faites en de
nombreuses photocopies (entre 30 et 100). Envoyez-nous en deux exemplaires et
nous en parlerons dans Casus, en indiquant vos coordonnées et le prix auquel
vous vendez votre oeuvre.
Si vous désirez que votre jeu soit « officielle
ment » un supplément Simulacres, écrivez-nous avant pour nous
en indiquer le thème, et en voyez-nous une version définitive du
jeu avant de le publier.